Les Cahiers D'Actéon

De l’équipée aux flancs des Himalayas visibles
jusqu’à l’ascension du Mont Analogue,

du cheval de nulle part
à la grande réserve des mots,

du fond des catacombes
aux solitudes du Pacifique,

le Trio Actéon
réunit Segalen et Daumal,

joue de la tectonique-poésie
et fait dériver les continents

à l’écoute des questions
que nul ne se pose plus…

Comment être exact
aux rendez-vous de l’égarement ?

Comment descendre au plus profond
pour bondir au plus haut ?

Comment inventer
une autre lumière ?

Zéno BIANU . Alain BORER . André VELTER

Les Cahiers d’Actéon

12 septembre éditeur

Expression épisodique des manifestations du Trio Actéon, qui se distingue avant tout par ses inactivités, cette revue se donne pour une publication non-éditée, mais dont on repère de loin en loin les échos et les traces.
Première apparition à San Francisco le 11 octobre 2007, au cours d’une soirée initiée par Martin Muller, en compagnie du peintre et magicien Mark Stock.
Improvisations à Tours et Chaumussay les 18 et 19 mars 2011.
Puis, à l’initiative de Marie-Dominique Kessler, rendez-vous de la « revue parlée à trois voix », dans la galerie Andata Ritorno de Genève les 10 mai 2019 et 15 octobre 2021.
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Los Angeles Airport, 2007 (Photo Claudia Moatti)

HISTORIQUE

Ardemment

Personne ne sait où, ni quand, le groupe Actéon s’est constitué.
Il semble né sous les auspices conjugués d’arpenteurs adonnés au Grand Jeu et de cartographes perdus dans les solitudes radicales du Pacifique.
Il y a cependant fort à parier qu’il est apparu, au tournant du deuxième millénaire, sous la triple protection zodiacale du Verseau éperdu, du Taureau bravo et du Fox-terrier à poils durs.
D’où son ancrage en zone inconnue, d’où sa propension à briller par son inactivité, comme un volcan insatisfait qui n’entend pas ruiner ses trésors d’énergie pour de simples feux d’artifices.
Mais du Grand Œuvre, il ne se moque en aucun cas, désirant ardemment transmuer de l’or en aube et du nord en soleil levant.

A.V.

Cycliquement

Il arrive qu’un artiste ne fasse qu’un avec le mystère et sa dimension frémissante. Vibrant encore, vibrant toujours, défiant toute gravité. À l’écoute du chant qui traverse le chant. À l’écoute de l’intuition fusante. À l’écoute de l’intelligence du coeur. Il se sent alors, selon le vers splendide de Baudelaire, “aussi fort qu’une bête, aussi libre qu’un dieu”.
Mais comment redégainer son coeur dans ce monde où l’on parle de tout et où l’on ne peut plus parler de rien? Comment se redonner de l’espace, de la respiration? Comment retrouver cet art si parfait du contrôle des accidents ?
Nous avons besoin cycliquement de phrères d’embuscade, d’alliés stellaires.
L’amitié ? Elle éclôt, elle irise, elle foudroie – libérant d’autres sens, affinant d’autres perspectives, creusant, précisant, réorientant par les moyens d’une ferveur lucide.
L’amitié ? C’est le contraire même de la neurasthénie, ce “paludisme mental” dénoncé par Saint-John Perse.
Pour habiter pleinement notre déséquilibre, nous avons besoin de collectifs récurrents, de pierres d’angle plurielles, qu’elles s’intitulent Manifeste électrique, Manifeste froid, Nulle Part ou Les Cahiers de Zanzibar.
Les noms changent, la source demeure. Et pourtant, nul ne connaît la vraie date de naissance d’Actéon – comme s’il n’avait cessé d’effacer son historique. Est-on même sûr qu’il soit né, ou peut-être deux fois né ? Il se nomme aujourd’hui Actéon, mais en d’autres temps, ne s’appelait-il pas Le Grand Jeu, Bifur, voire Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non ?

Depuis son origine, délibérément insituable, Actéon continue à sinuer, à se faufiler entre les trous noirs, lesquels ont souvent un appétit d’ogre. Et sans relâche, il questionne, il interroge, il accueille : comment descendre au plus profond pour monter au plus haut ? Comment réinventer une autre lumière ?

Z.B.

Passionnément

Soudain au plus lointain du grand Océan une barre de nougat, surmontée d’une cocoteraie impénétrable, atolls à forêts rondes sur le tropique du Capricorne, ainsi apparaît le groupe Actéon et s’accrochant pour y croire au bastingage de l’instable trois-mâts, se demander comment en arriver là, à l’extrêmité du désert liquide, comment s’égarer-découvrir à ce point ?
or arrivant d’Europe et me disant que je n’irai jamais plus loin sur la planète qu’à cet antipode exact, je m’émerveille de voir, enfin !, quelque chose plutôt que rien, tel Fernández de Quirós qui découvrit l’archipel le 5 février 1605 : c’était embarquer pour Cythère, ce projet de Bougainville, ou trouver l’Arcadie en Polynésie française ; il ne faudrait jamais cesser d’exiger de ces lieux qui présentent une existence excessive, qu’ils tiennent leurs promesses : ce joli nom posé sur l’eau remplit un vide immense, sublime et inaccessible ;
et de même que chacune des trois îles protège l’autre en dérobant son accès, de même Actéon le chasseur fut transformé en cerf pour avoir surpris Diane qui, «détachant sa robe retroussée» se préparait au bain — dans les mers du Sud ? Et Gauguin dans les cascades des Marquises, derrière son chevalet, observant sans être vu des Vahinés rieuses quittant leur paréo rouge, ne recommençait-il pas cette scène des Métamorphoses (III, 138-252) d’Ovide ?
Tandis que le Groupe Actéon à nouveau s’éloignait, trois étoiles dans le bleu nuit de l’océan, sans doute avons-nous entrevu là tous les trois, l’un d’entre nous au nom des autres, comme toujours, ce mont Analogue que René Daumal situe de ce côté du globe et précisément dans cette région du monde, « enfermé dans une coque d’espace courbe » et créant autour de lui une courbure de l’espace : presque tangible s’offrait là notre nom, l’ailleurs absolu, l’allègement riant, la liberté libre, la quête perpétuelle d’un continent nouveau dont un bateau fait la démonstration qu’il pourra « le contourner non seulement sans le toucher, mais même sans le voir. »

A.B.

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