André VELTER

Trafiquer dans l’infini

Gallimard, 2023

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Des décennies durant, je n’ai cessé de citer, en guise d’injonction majeure, cette annonce aux siens de Rimbaud dans sa lettre de Harar du 4 mai 1881 : Pour moi je compte quitter prochainement cette ville-ci pour aller trafiquer dans l’inconnu. J’ignorais, comme nombre de ses éditeurs, que la publication de sa correspondance en 1899 par les soins frauduleux de Paterne Berrichon, était scandaleusement fautive. En consultant la missive autographe, l’extrait, si célèbre, apparaît désormais d’allure moins précipitée. Qu’on en juge (puisqu’il n’a pas été rétabli dans telle ou telle édition des Œuvres complètes) : Pour moi je compte quitter prochainement cette ville-ci pour aller trafiquer ou explorer à mon compte dans l’inconnu… J’avoue qu’en choisissant le titre de ce livre, Trafiquer dans l’infini, j’avais assez précisément en tête, sans la moindre connaissance des mots retranchés d’Arthur, que je m’aventurais là pour explorer à mon compte, loin de tout commerce, mais par désir d’extension amoureuse et sans frein de l’inconnu, jusqu’aux rives extrêmes de l’infini.

Je ne pouvais imaginer ni tenter une telle exploration sans la présence des alliés auxquels je suis fidèle (Khayam, Jaufre Rudel, Pétrarque, Maurice Scève). On les trouvera donc évoqués en quelques séquences qui balisent ce champ poétique et répondent à l’une des Notes précieuses de Baudelaire : Sois toujours poète, même en prose !
Quant au voyage qui se découvre ici, dans son tracé et ses résonnances, il s’oriente a jamais sans retour :

L’altitude est pour moi
L’autre nom de l’amour
Avec à l’infini
L’aube de la vraie vie

PARCOURS CRITIQUE

Dans un recueil inspiré, le poète André Velter convoque tous ses auteurs fétiches. (…) Tout cela est érudit, certes, riche en références, mais jamais pédant ni abscons. André Velter, qui a dirigé la collection Poésie/Gallimard durant des années et a popularisé la poésie à la radio ou dans des récitals musicaux, est un passeur de poésie. Il écrit dans une langue simple, voire parlée, qui ramène le genre à ses origines orales. Du coup, trafiquer dans cet infini, s’y égarer, devient un plaisir.

Jean-Claude Perrier / Livres Hebdo, janvier 2023

Cela qui semble dépasser tout langage, la violence de la sensation, l’expérience et l’épreuve du grand dehors, André Velter, à 77 ans continue de le vivre et de le chanter avec fougue et feu. Son plaisir de dire, son être de souffle et de sang ne cesse d’inventorier et de refonder à neuf le champ du vivable. Toujours prêt à s’en remettre à la beauté, à répondre au surgissement de ce qui vient comme à l’appel de « l’inouï qui s’épouse » ou de « l’indicible qui se dévoile », sa vie consiste à trafiquer dans l’infini.
Cette façon de faire confiance à la part irréductible et sauvage qui le pousse à tou jours aller de l’avant, trouve son origine dans un nomadisme qui «
ne se cherche ni filiation ni alibi (…), ne paye tribut à personne, ne défend aucune cause en de ça du démesuré, de l’inespéré, du sacrificiel ». S’extraire du grégaire, donner de l’espace au fugace, partir, repartir, c’est proclamer le droit à l’impossible, considérer l’inaccessible comme « un sommet de pure altitude, comme l’aimant majuscule de l’énergie noire. Invisible, il nous crée, visible, il nous détruit. Nous l’aimons les yeux fermés ». Et si les équipées au long cours deviennent plus difficiles, il reste possible de parier sur ce « nomadisme à demeure » capable de « déplier un autre monde, / immense tout soudain au-dedans de soi, / comme sous l’effet d’un éclair, d’une assonance, / quand un accord visionnaire prend le dessus // et qu’une prescience se fait présence ». Une poésie qui, toujours, ménage un espace hospitalier aux poètes aimés, et fait de l’amour l’autre face d’un même rapport à l’existence.
Activer, aviver, éveiller l’improbable possible, telle est la vie-Velter. Parce qu’il sait que plus haute que la réalité se tient la possibilité, qui est la sur-vie même.

Richard Blin / Le matricule des anges, juillet-août 2023

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