André VELTER

L’amour extrême

Poèmes pour Chantal Mauduit
Gallimard 2000

Là-haut, tu es. Là-haut quoi qu’il advienne,
femme soleil d’un miracle à jamais
que rien ne sépare de la pure lumière
ni du souffle ascendant de notre amour promis

à une autre altitude. Tu es là, hors d’atteinte,
hors du monde où meurent les âmes et les corps.
Tu danses sur l’horizon que je porte en moi
pour abolir l’espace et le temps. Tu vis à l’infini.

PARCOURS CRITIQUE

Il n’y a pas de mots pour « dire » cette offrande de poèmes qu’André Velter fait à Chantal Mauduit.
Yanny Hureaux / L’Ardennais, 2 février 2000

Déchirante pérégrination à travers la vie, la passion et la mort.
Bernard Mazo / Aujourd’hui poème, février 2000

Grand voyageur, il a passé la moitié de sa vie au Tibet et en Afghanistan. Sa poésie en a gardé les couleurs de l’ailleurs : qu’il invente des « phrases-embarcadères, des noms aimantés, des chansons qui d’avance larguent nos amarres « , ou que, tenté par d’anciens rythmes, il mêle sa voix à celle des troubadours, toujours André Velter tente l’ascension du mont Amour.
Didier Jacob / Le Nouvel Observateur, 2-8 mars 2000

Le poème est ici tracé pour tenir bon, pour retrouver sa dignité, pour savoir qu’un deuil ne se fait jamais, qu’il ne faut pas vivre dans l’amnésie mais arc-bouté avec le souvenir de l’aimée disparue. Aucune trace d’apitoiement dans cette conquête inutile en des passions d’altitude. Une voix brisée qui se hisse au secret de soi-même, le long des parois du chagrin pérégrin, un souffle d’une vitalité inouïe qui tambourine au cœur du vivant.
Patrice Delbourg / L’Évènement du Jeudi, 9-15 mars 2000

La poésie est une voyageuse de nuit. Elle n’a envie que de départs. Elle va elle ne sait jamais où, et toujours elle se retrouve et toujours elle se perd. Elle ne collectionne les portulans que pour arpenter les terres sans cartographie et tous ses bivouacs sont des égarements. Au matin, elle se réchauffe aux cendres et aux neiges. André Velter nous dit ces choses-là. Il prend possession du monde pour abolir toute frontière. Sous les avalanches de la mort, il voudrait que la vie danse quand même et ses courages, parfois, sont comme des larmes.
Gilles Lapouge / En étrange pays – France Culture, 10 mars 2000

Ce recueil pourrait être déprimant, c’est tout au contraire une leçon de vie, une brassée de mots jetée à la face du néant, qui reste sans voix devant la langue de feu magnifique d’André Velter, l’inconsolé.
Fabrice Gaignault / Elle, 20 mars 2000

André Velter veut continuer de proclamer cette vérité improbable et pourtant constamment réaffirmée, de siècle en siècle, de désespoir en tragédie : l’amour est plus fort que la mort, la parole est plus forte que le silence, quand on peut la pérenniser en écrivant.
Josyane Savigneau / Le Monde des Livres, 31 mars 2000

Arpenteur de légendes, nomade inspiré, André Velter est de ces poètes qui boivent l’émotion à sa source, chantent leur famine sur le versant noir des transparences amoureuses, marchent à pieds secs dans leurs rêves. Poésie incarnée qui charrie le vif et le mort, la cendre et le feu. Poésie du vertige dansé, mais poésie si fraternelle qu’elle rend lumineuse l’écriture du vent.
Richard Blin / Le Mensuel littéraire et poétique, avril 2000

Un tombeau de douleur, un tombeau de douceur, la présence d’une femme infiniment scintillante.
Michel Perraudeau / Anjou laïque, avril 2000

L’art d’André Velter, pour combler le vide par la vie, atteint des sommets de simplicité et luit déjà mieux qu’une étoile.
Pierre Perrin / La Nouvelle Revue Française, juin 2000

DOULEUR BRULÉE

Meurs avant moi, juste un peu
avant

Afin que ce ne soit pas toi
qui aies à revenir seule
sur le chemin de la maison

Ces vers du poète allemand Reiner Kunze sont de ceux qui nous restent en mémoire. Leur murmure porte loin et touche profond, dans cet espace du cœur que nous laissons rarement à découvert, là où l’amour est nu devant l’inéluctable.
Aux jours ordinaires, l’inéluctable se déplace avec la ligne d’horizon. Toujours visible et toujours à distance. Mais qu’advient-il quand d’un geste brutal le temps se resserre et que la mort emporte avant l’heure l’être aimé, si longtemps avant l’heure que c’en est un foudroiement où le monde même perd de sa vraisemblance ?
Le Septième sommet et L’Amour extrême d’André Velter sont deux livres nés de cette épreuve et de cette dévastation, deux diamants arrachés aux flancs de la douleur, deux colombes sauvées de l’incendie et dont l’envol rouvre à l’infini le ciel et l’amour.
Dédiés à Chantal Mauduit, l’alpiniste dont le dernier souffle s’est mêlé aux vents glacés de l’Himalaya un jour de mai 1998, ces livres nous bouleversent. Le chant qui se lève en eux est né de ce qui laisse sans voix. La lumière qui en émane, si intime dans sa substance, semble devoir se propager à jamais parmi les êtres et dans les temps.

L’amour qui transfigure la vie, l’amour qui est cette saillie hors de nous-même, aurait-il aussi le pouvoir de transfigurer la mort? On est tenté de le croire, quand il passe par le fil conducteur de la poésie. J’appelle poésie ce qui relie l’énergie de l’âme et l’énergie de la langue. Quand les deux ne sont pas en contact, l’humanité en nous mortifie son essor. Comme le disait Shelley, nous gisons alors « sous les cendres de notre propre naissance et couvons un éclair qui n’a pas trouvé de conducteur ».
Ce que suggèrent les livres d’André Velter, dans la résonance qui transcende l’ancrage intime ou le brasier autobiographique, c’est que le temps est peut-être venu de penser à nouveau la fonction orphique de la poésie. N’est-elle pas, comme l’amour, et dans la conscience même de notre finitude, ce qui nous relève quotidiennement de notre propre mort psychique et spirituelle ? Lecteur, tu es à la fois Orphée et Eurydice !
Les poèmes du Septième sommet et de L’Amour extrême sont écrits avec des mots de neige et de feu, des mots qui absorbent toutes les ombres dans une transparence minérale mais qui ne consument jamais leur pudeur dans leur élan intrépide. Plutôt que d’élan, il faudrait peut-être parler d’intensité, mais l’intensité même correspond toujours à une vitesse intérieure. Tout ce qui fait une vie, un amour, un destin est resserré dans ces poèmes dont l’incandescence n’oblitère jamais la grâce. On pense au geste de l’archer : les vers sont des flèches, lancées vers quelle cible ? Vers l’infini qui est aussi en nous, vers cette zone de la cible que les archers depuis les temps anciens appellent douleur brûlée.

Mais cet infini, par surcroît, est celui de la résonance de l’ancien dans le moderne. Dans les dernières pages de l’Amour extrême, André Velter a lié dans un même tissage sa voix et celle des troubadours. De Peire Vidal à Bertran de Born, leurs vers se mêlent aux siens dans un chant uni qui ne porte nulle trace de greffe ou de suture. Ce geste opère comme une subversion à l’égard de certaines idées reçues : nos contemporains ne sont pas seulement ceux que le sens premier du mot, ou la rumeur publique, tiennent pour tels. Il est des œuvres qui dès l’instant de leur naissance regardent jusqu’au fond de l’avenir. Celles-là nous seront toujours contemporaines, viendraient-elles de l’Antiquité ou du Moyen-Age, et la quête du moderne dans le passé est une des tâches qui nous incombe. Les avant-gardistes russes l’avaient bien compris, en peinture comme en poésie, eux qui pour inventer des formes inouïes se sont volontairement plongés dans la fraîcheur de l’archaïque. Malévitch a dit tout ce qu’il devait à la leçon des icônes, et Khlebnikov à son immersion dans « la nuit étymologique ».
Là où la voix sonne le plus juste, n’est-ce pas en ce point envié où le passé, le présent et l’avenir, se confondent ? En ces instants-là

Rien n’est éloigné de nos songes,
rien n’est trop fort à nos désirs,
rien ne peut faire que l’on renonce
à ce qu’il y a d’absolu sous nos pas.

Jean-Baptiste Para / Les Cahiers de L’Orcca – Dossier Langagières, décembre 2000

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