André VELTER & Ernest PIGNON-ERNEST

Extases

Gallimard, 2008

Ce n’est pas un acte de foi qui a décidé de l’aventure singulière, délibérément hors cadre, qui se manifeste dans ce livre, et va désormais s’exposer. Tout est venu d’un questionnement, d’une fascination, du vertige également qui ne peut qu’emporter ceux qui désirent évoquer, penser, comprendre, figurer un phénomène aussi troublant, aussi dérangeant, aussi insensé que celui de l’extase.
Il y a plus de quinze ans déjà qu’à la suite de ses collages dans les rues de Naples, Ernest Pignon-Ernest a ébauché ce dialogue très libre avec les grandes mystiques, ici au nombre de sept : Marie Madeleine, Hildegarde de Bingen, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Marie de l’Incarnation et Madame Guyon.
Pour un artiste qui a toujours fait du corps l’objet et le sujet de ses explorations, la rencontre autour d’une thématique de cette nature relève autant d’une quête que d’un défi. Comment représenter ce qui ne se peut voir ? Comment faire images de chairs qui aspirent à se désincarner ? Comment capter les traces, les effets, les lumières, les ombres, les soupirs ou les cris d’expériences ineffables ? Comment restituer par des traits de tels transports, de tels excès, de telles effractions sublimées ?
Les preuves de l’union mystique ne se donnent jamais que sur le théâtre du monde, et ce spectacle contrarie l’accord en plénitude des cœurs, des souffles, des esprits et des âmes qui, pour s’accomplir, ne requiert ni scène, ni décors, ni répliques. La pâmoison témoigne sans doute de l’oraison, mais l’oraison est ailleurs, et au delà.
Pourtant un tel mystère n’a cessé d’obséder les créateurs, de les séduire aussi. Peintures, sculptures, poèmes, apologues ou récits s’attachent depuis des siècles à saisir la merveille, à forcer l’interdit, à favoriser, dans le champ du visible, l’accès à l’invisible, comme à mettre sur la peau des reflets d’éternité, et aux lèvres des cantiques à chavirer les anges.
Tenter l’impossible dans l’orbe de femmes inouïes, qui firent d’abord scandale et que l’on prit souvent pour folles avant de les béatifier ou de les sanctifier, voilà ce qu’entreprend Ernest Pignon-Ernest avec pour alliés les outils les plus simples : des crayons, des fusains. Et le prodige veut qu’une dimension, dont on ne sait si elle est tierce, quarte ou infinie, vienne s’ajouter à une surface plane, et qu’il se libère un espace dans le peu de matière de feuilles sans épaisseur. On voit alors qu’un secret affleure, se façonne, s’éveille en quelque sorte, charnel et impalpable, sensuel et très pur.

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