Serge SAUTREAU & André VELTER

Aisha

Préface d’Alain Jouffroy
Gallimard, 1966 – réédité en 1998 et 2010

« Qui est Aisha ? Un mythe, une femme – la poésie, la liberté ? Quand deux poètes se mettent d’accord pour écrire ensemble un texte de l’envergure d’Aisha, et quand ils déclarent ensuite : « Il ne nous appartient pas, à nous qui, sans jeu de mots excessif, menons le double je, de dire qui est (ou fut, ou sera) Aisha, non plus que de nous expliquer sur les conditions d’une métamorphose écrite à deux : nous serions bien les derniers, nous l’assurons, à pouvoir le faire », la seule possibilité d’interprétation qui soit ouverture et non pas fermeture systématique réside dans la lecture et la relecture de cette oeuvre à voix, à plans et à arrière-plans multiples. Quiconque veut saisir ce que Serge Sautreau et André Velter ont volontairement concentré et vaporisé dans ces pages, quiconque veut courir le risque et l’aventure de la compréhension et de l’incompréhension, doit d’abord avoir lu et relu, avant toutes choses, ce palimpseste où la poésie dialogue avec elle-même, ce palimpseste où l’écriture dédouble, contredit et transforme la trace d’écritures précédentes. »

Alain Jouffroy

PARCOURS CRITIQUE

Aisha, l’un des rares événements de la poésie écrite en langue française depuis 1945 (…). Aisha, poème de la première exploration consciemment menée depuis Breton et Soupault au-delà du « Je est un autre » de Rimbaud.
Alain Jouffroy / Qui frappe à la porte, 1966

La parution de ce poème est bien un événement, comme l’affirme Alain Jouffroy. Sincère, puissante, d’une violence tonique, d’un éclat concentré, elle serait saluée avec joie, cette œuvre d’une intensité juvénile, par le Rimbaud de « Paris se repeuple » et des « Mains de Jeanne-Marie ». Ce n’est pas poésie confite en pâmoisons d’esthètes, drogue hypnotique propre à nous bercer de rêves et nous donner l’illusion du bonheur pendant que des criminels mènent le monde. Sans compromis, sans bredouillements, sans pleurnicheries, sa farouche beauté est celle d’une poésie totale, révélatrice du réel. À nous de comprendre cette parole.
Camille Lecrique / L’Union, 25 mai 1966

Voici deux poètes qui prouvent que la poésie n’est pas le luxe de quelques esthètes, une alchimie secrète et précieuse, qui s’étiole et se meurt. Qui prouvent que la poésie se fait dans la rue, parmi les hommes, comme le cinéma, comme « Pierrot le fou », qu’elle est faite pour tous et par tous. Avec les mots d’aujourd’hui.
François Bott / L’Express, 27 juin 1966

Il faut lire Aisha, c’est un livre dont l’importance ne cessera probablement de croître dans le renouvellement imprévu qu’il apporte à la poésie.
René Lacôte / Les Lettres françaises, 21 juillet 1966

Avec ce livre nous sommes en présence assurément d’un de ces poèmes, fort rares, qui ne peut laisser indifférent son lecteur, qui le marque. Il se peut que je n’arrive point à qualifier mon émotion, que je ne réussisse à définir l’intérêt, le brûlant intérêt d’un tel poème, à élucider son centre inconnu; je voudrais signaler au moins son importance, inviter à sa lecture.
Pierre Dhainaut / La Gauche, 17 septembre 1966

Ces voyageurs rafraîchissants, ces souilleurs d’aube, ces révolteurs balafrés, ont souvent raison. Et c’est certes dérangeant : on n’aime point que les poètes aient raison.
Théodore Koenig / Phantomas, juillet 1967

Deux auteurs comme Serge Sautreau et André Velter, qui écrivent ensemble, me paraissent appartenir de plein droit à l’héritage de mai 1968, et principalement par un très beau texte paru chez Fata Morgana en 1971 : Du prisme noir au livre tourné court ainsi que l’Ode inachevée à Jean Jeannerot. Toutefois, ils avaient publié un recueil intitulé Aisha dès 1966, chez Gallimard. Et c’est dans Aisha que l’on peut lire : « La poésie / ne se mesure qu’à la violence… »
Mai 1968 a donné à ces jeunes gens le goût d’une autre vie, qui n’appartient pas à l’esthétique, mais au contraire détruit l’esthétique. Ils ont hérité d’une grande impatience.
Hubert Juin / Le Monde, 16 mai 1973

Réédition, Gallimard 1998

Il y a là rassemblés tous les éléments d’un langage indomptable, irréductible aux forces institutionnelles. Car Aisha demeure dans un éclat perpétuel. Son énergie offensive est plus que jamais présente et efficace : elle est destinée à ceux qui vivent en harmonie avec le danger.
Adonis / Al Hayat, 19 mars 1998

La réédition de Aisha est un événement. Elle nous permet de pouvoir enfin retrouver une œuvre qui déjà fait date dans l’histoire de la poésie.
Yanny Hureaux / L’Union, 5 avril 1998

Cette sorte d’enragement du lyrisme qu’on retrouvera souvent sur les murs de 68, Aisha ne laisse pas de le préfigurer. À nouveau, les poètes ont refusé de dissocier révolte et révolution. Tout individu est à la fois enfermé dans son être propre et dans la société, Aisha est le témoignage intérieur de ce soulèvement, comme mai 68 en sera, deux ans plus tard, la face externe.
Pierre Vandrepote / Les Temps Modernes, mai-juin 1998

La réédition par les éditions Gallimard de Aisha d’André Velter et Serge Sautreau permet aux jeunes lecteurs de découvrir un des textes qui avec les Épiphanies de Pichette reste l’une des œuvres majeures du surréalisme de l’après-guerre.
Gérard Noiret / La Quinzaine Littéraire, 16-30 juin 1998

Pas très loin du surréalisme et de la beat generation, ce poème très moderne, qui date de 1966, annonçait le climat de mai 1968.
François Bott / Le Monde, 31 juillet 1998

Qu’en reste-t-il, trente ans après ? Je dirai : tout ou presque, en tout cas l’essentiel : le brasier d’énergie qui l’anime, transforme les mots et les pensées en brûlots, systématique remise en cause de tous les savoirs, de toutes les valeurs.
Charles Dobzynski / Europe, septembre 1998

Avec ses bifurcations, ses déhanchements, ses discordances, ce poème nomme la vie que les littérateurs trahissent.
Renaud Ego / Jungle n° 19

Aisha est l’autre nom de la Jeunesse tel que ne l’affecte aucun pronom possessif et tel que doué d’une énergie assez pénétrante pour généraliser sa pentecôte dans les têtes et dans les cœurs. Rien qu’un chant, donc rien qu’émotion pensive : elle se propage à la vitesse du regard qui en relève l’inscription. Plus exactement, elle happe sa propre lecture et la précipite en l’activant au point que l’accélération est le cadeau qu’offre en retour le poème. Ainsi s’élabore un partage, qui donne à consommer l’acte poétique dans son accomplissement même, c’est-à-dire dans l’élan où, exposé à découvert, il se trouve dépouillé des séductions formelles ordinaires. Le rythme apparaît alors pour ce qu’il est : une course vers le bout du souffle afin, toujours, de le tenir à sa limite – celle qui contre la vie trop petite et le temps compté. Là, dans la tension excessive du risque, commencent les visions…
Bernard Noël / Jungle n° 19

Aisha fut un éclair dans un ciel fané. Après : meilleur temps.
Lisez. Relisez. Dans notre ciel pas très lumineux non plus et souvent assez bas (de plafond intellectuel et stylistique), ça fulgure encore pas mal : « Tout le réel à vaincre / La rue à conquérir / Rien n’est donné rien n’est fini / Il faut tout agrandir ».
Christian Prigent / Jungle n°19

La réimpression, ces jours-ci, de Aisha, ce poème à voix double et jointe publié entre la fin de la guerre d’Algérie et la débâcle américaine au Vietnam, m’apporte la preuve, si besoin en était, que la poésie, à moins d’être de circonstance, ne passe pas avec le temps. C’est un livre neuf que je viens de relire, dont les accents sont actuels et la force vive.
Guy Goffette / Jungle n°19

Comme la jeunesse de l’immédiate après-guerre connut un choc poétique avec les Épiphanies de Pichette, ceux qui eurent autour de vingt ans en 68 se souviennent de ce pavé dans la mare que fut Aisha d’André Velter et Serge Sautreau. Une insolence ailée, une passion de la parole y bousculaient la débâcle bien policée d’une époque.
Gérard Noiret / La Quinzaine Littéraire, 16-30 avril 2000

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