Les outils du corps
Denoël / Gonthier, 1978
Aucun livre jamais n’abolira la création, fût-ce en la résumant, ni n’évoquera tous les gestes qui créèrent. Ce n’est donc pas la volonté de compléter Le Livre de l’outil qui nous guide, mais le désir d’outrepasser nos interrogations. Compléter, cela signifierait qu’il y a une œuvre à clore alors que c’est d’ouverture qu’il s’agit, des appels d’autres espaces, des échos d’un univers si proche que l’on n’y prend pas garde. Le savoir immobile figure un masque sinistre : une décalcomanie de pontife pour salle de conférence vide. Nous n’aspirons pas à cette solitude-là. La chance et la joie des rencontres s’inventent dans le mouvement de la pensée, et la pensée devient le mouvement même quand celui-ci ne craint pas de se tendre entre intuition et incertitude. Autrement dit, donner une suite n’est pas une fin en soi.
Avec Pierre Larousse, nous avons défini les outils comme des agents manuels aptes à transformer la matière. La terre, le bois, le métal, la pierre, le cuir, le verre s’inscrivent aussitôt dans la logique des choses. Y adjoindre le corps humain paraît à la fois tout naturel, chimistes et biologiques peuvent en témoigner, et sacrilège, le sursaut instinctif de chacun exprimant une forme de refus. Cette réticence a sans doute gouverné le langage et imposé la dénomination d’instruments pour les objets maniés par le médecin, le chirurgien ou le dentiste. Pourtant, une scie d’amputation sectionne bel et bien chairs et os comme celle du serrurier mord le fer, comme celle de l’ébéniste coupe l’ébène. La sensiblerie dans les termes, la peur des mots, ne sont plus de saison ; aussi parlerons-nous ici encore d’outils, la dispute sur le vocable devant prendre tout son sens au fil des récits et des découvertes.
Chaque atome sur terre
Fut une joue de soleil, un front de Vénus.
La poussière qui se pose sur ce front délicat, essuie-là doucement :
Elle fut, elle aussi, visage et chevelure d’un être fragile.