L’Himalaya
Guide littéraire
Favre, 1997
L’Himalaya constitue l’autre dimension de la Terre, sa part d’immensité verticale. Au-dessus des sols immergés, il s’impose comme un continent en élévation, un ensemble singulièrement massif, mais dont la masse paraît détachée du reste du monde. Si déraisonnable soit-elle, cette sensation domine l’approche première de qui s’aventure entre Gange et Tibet. Là, le jeu des apparences dérègle les lois élémentaires, et la pesanteur ne soumet plus le regard. L’évidence des cimes excède les certitudes étalonnées de la plaine, s’aborde alors un territoire où la réalité tient du rêve, où la vue engendre la vision.
La proximité de l’infini est trop plausible, le sentiment de l’illusion trop vif pour qu’il suffise de décrire la matérialité des choses. Il faut éprouver la démesure de ce lieu qui porte le ciel, se mettre en altitude, marcher entre soleil et glacier, pénétrer le silence, se perdre de rochers éclatés en canons de poussière comme si l’on accueillait la naissance de l’Univers. Il faut s’adjoindre l’étrange pureté de l’Himalaya qui fait qu’il est impossible de reprendre souffle hors de la lumière.
Suivre un sentier qui s’élève, c’est aussi s’élever. Lentement la pensée désarme ses polémiques. L’adaptation au milieu s’amorce pas à pas. Le mental s’oriente à la hausse. L’oxygène raréfié suggère une purification, l’entraînement physique favorise une euphorie du corps : l’expérience ne dit pas si la grâce est au pouvoir du manque ou des muscles. Elle témoigne en revanche d’une pacifique ivresse, l’ascension suscitant une soif de sens autant que d’espace.
L’évocation de ces contrées extrêmes exige un parcours successivement apparenté au voyage, à l’escalade, au pèlerinage, sorte de repérage improvisé pour un pays sans mode d’emploi où toute présence relève du prodige. Ici, la nature est en proie au surnaturel, et l’errance qui d’emblée multiplie images ou émotions se change parfois en initiation, le cheminement se doublant d’une avancée d’ordre spirituel. Avec de telles perspectives, la ligne de crête devient paysage intérieur, la conscience individuelle participe d’un élan plus vaste.